« SOUVENIRS DE SEPTEMBRE 90 »
(encore un papier retrouvé, en juin 2004 !)

17/09-22h00. Lentement le vent d’est a dérivé à l’ouest. Il fait trembler les herbes rares. Siffle dans les yuccas et les pins parasols. De l’ouest va-t-il tourner au nord, en un mistral rageur et nettoyeur ? Ses butées, ses coups lui ressemblent ! Coups de reins dans les palmiers et les asters d’automne. Un petit feu de bois dans la cheminée faiblarde brûle mes entrailles et mes yeux. Il réchauffe mon désespoir et mes ennuis. Une étoile glisse sur l’eau, lentement. Seul oscille son pâle reflet. Pêcheur ? Yacht ? Barque ? Voilier ? Nul ne le sait. Le vent éclaircit la nuit, allonge les distances, refroidit les lumières, inonde sa fraîcheur. Bientôt l’automne. Ici l’automne n’existe pas. Pour moi l’automne méditerranéen est un passage de douceur, tunnel bien protégé où rien ne bouge, où tout stagne. C’est une saison intérieure. Odeurs d’eucalyptus brûlés en fournaise, rosée des matins perlés, brumes de mer. Quand vient l’automne, me reviennent ces musiques de Marcel Pagnol :

« … dans les pays du centre et du nord de la France, dès les premiers jours de septembre une petite brise un peu trop fraîche va soudain cueillir au passage une jolie feuille d’un jaune éclatant qui tourne et glisse et virevolte, aussi gracieuse qu’un oiseau… Elle précède de bien peu la démission de la forêt, qui devient rousse puis maigre et noire, car toutes les feuilles se sont envolées à la suite des hirondelles quand l’automne a sonné dans sa trompette d’or. Mais dans mon pays de Provence, la pinède et l’oliveraie ne jaunissent que pour mourir et les premières pluies de septembre, qui lavent à neuf le vert des ramures, ressuscitent le mois d’avril. Sur les plateaux de la garrigue, le thym, le romarin, le cade et le kermès gardent leurs feuilles éternelles… …
… … C’est en silence au fond des vallons, que l’automne furtif se glisse : il profite d’une pluie nocturne pour jaunir la petite vigne, ou quatre pêchers que l’on croit malades, et pour mieux cacher sa venue il fait rougir les naïves arbouses qui l’ont toujours pris pour le printemps. C’est ainsi que les jours de vacances toujours semblables à eux-mêmes, ne faisaient pas avancer le temps, et l’été déjà mort n’avait pas une ride… »

Que dire après Pagnol…merveille de sensations. J’ai des souvenirs d’enfance qui martyrisent mes rêves. Forêts, hêtres d’or, bouleaux satinés de ciels bleus, écharpe des nuages, montagnes frileuses, brumes arc-boutées au socle des sommets bleutés. Automne de Vivaldi.

Bientôt en octobre je rejoindrai mon pays d’enfance. Haute-Savoie de mes racines et de mon identité, de mes souffrances d’adolescent et les traces de mon enfance brûlée. « Que sont mes amis devenus » ????? Fanny mon enfant mon amour et ma vie, que vas-tu devenir toi qui chantes et qui ris des musiques naïves, des regards agrandis par des tonnes d’avenir. Tu es là et tu suis ton chemin du haut de tes 6 ans, mince comme un moineau et forte comme un aigle, tu vaincras les obstacles qui m’ont fait défaillir.

Mes mains sont glacées… Noire est la nuit sur la mer. Un bateau s’époumone.

Exilé de la vie, vie entre parenthèses, je m’écoule telle une eau dévalant des falaises ; pentes douces et polies, roches lisses et vermeilles, goélands de la nuit sillonnant les calanques endormies.

J’ai en moi des visages de Femmes à la Beauté absolue… elles hantent mes jours, mes nuits, mes heures, mes yeux… Où sont-elles pendant que j’écris, et où suis-je ? Ai-je tellement besoin d’elles ? Quel est ce cri, quel est ce chant ? Amour ? … illusion dérisoire, moquerie orpheline, solitude absolue, dérive de l’absurde, misère de ma vie. Je ne suis qu’un fantôme que le vent momifie dans ses bras invisibles.

Que reste t-il après le jour ? des colères inutiles, des révoltes avortées, un apaisement sordide sans espoir, sans liberté.

LA LIBERTE C’EST LA CONTRAINTE DE L’AMOUR.

L’espoir fait-il vivre si douloureusement ?
Ce soir j’ai si froid…

21/09-5heures du matin. Le mistral rudoie mes rêves et me fait me lever tôt. Hier soir le feu a ravagé quelques troncs déjà embrasés par les incendies de juillet. Pendant deux heures de hautes volutes de fumées noires et grises orangées de ciels couchants ont tapissé le ciel. La couleur des flammes n’est pas venue jusqu’à nous et pourtant , la nuit tombée, un rougeoiement illuminait les crêtes du Col du Bougnon après chaque claque du vent.
La vision des forêts brûlées est un déchirement, une révolte sourde, une brûlure intérieure, aussi douloureuse et violente qu’un chêne embrasé sous la furie du vent. FAUSSES FORÊTS D’AUTOMNE QUI AURAIENT PERDU LEURS FEUILLES. Car les chênes verts, les arbousiers, illuminent l’hiver. Des troncs noirs, des branches supplient le ciel bras tendus implorant un dieu vengeur , immobilité froide du vide implacable des forêts calcinées.

Demain c’est l’automne
L’automne, ma saison intérieure…

Automne des décisions à vivre, des remises en question, bouleversement des habitudes néfastes ; automne d’amours rêvés calmes et sereins ; crépuscules marins, mains entrelacées de sables et d’algues séchées.

Le mistral rudoie mes rêves et me fait lever tôt. Et pourtant, malgré toutes ces épreuves qui gravent au cœur de ma chair des cicatrices et des rides, je conserve le calme d’un désert absolu, un sentiment parfait et rectiligne, doux et fin, soyeux et immuable, chaud et sensuel, le bonheur d’être et de devenir moi-même, de me découvrir ; de pouvoir vivre avec des contraintes choisies. D’exprimer par violentes touches de mots des relations, des couleurs, des voyages, des espoirs, des sourires, des amours, des fêtes sincères et apaisées…

IDENTITE…

Revient le mistral avec son obsession violente. Rupture des atmosphères comme un basculement d’univers aux relents de vents savoyards glacés et de sirocco Africain. Les arbres malmenés font vaciller les lumières de la nuit et quelques étoiles affolées tentent de percer le mystère du vent parmi leurs années-lumière d’imbécillité stellaire.
Marée noire de la Provence forestière et parfumée, odeurs des cendres tournoyées montant des matins étonnés, vies en sursis permanent, paysage de tabac consumé ; absence de couleur, photo ratée, solarisation avortée dans des bains d’acides sauvages et incontrôlés.

Autour de moi des amours se terminent !!! Des tranches de vies, histoires banales, classiques mais authentiques. Qu’en reste t-il ? des douleurs et des silences d’enfermement, mais des plaisirs cueillis comme des raisins grappillés. Toutes ces années vendangées sans tirer profit de ces vignes amoureuses, récoltes maigres et dures, amères et douces.

Mais grains de raisins tellement sucrés qu’un seul de ceux-ci doit rappeler à jamais les beaux jours envolés. Paysages nouveaux découverts à deux, amour volé, inlassables ballades Bretonnes, forêts landaises illuminées de bruyères et vaporeuses fougères, rouleaux bleus des océans, montagnes Pyrénéennes aux prairies d’altitude caressantes de sources, chamois infréquentables et magiques sorciers des escalades, nature abandonnée des hommes ruisselantes de pluies, chemin des îles battues des vents, sapins, mélèzes, épicéas, digitales-révérences, levers de soleils……. FANNY !!!!!!!!!

Et me voilà face à ma vie, à mon avenir proche-lointain. Où me conduiront mes pas ? la fatigue n’existe que dans les têtes. La lutte est quotidienne pour la recherche de l’absolu. Je me sens prêt pour de nouvelles escalades, je ressens les nuages de la mer comme des pulsations, des ressacs.

Toi qui viendras et que j’attends tu seras mon estuaire où j’irai me jeter et me fondre, dans des eaux sucrées d’océans de tendresse.

22/09………
Tout a brûlé autour de nous. Les odeurs de cendres volatiles hantent nos maisons notre peau. Ce matin avant l’aube, une aube rouge s’est levée et nous a fait fuir dans des nuages aveuglants de braises incandescentes. Puis le jour s’est métamorphosé en en sombre nuit ocre jaune, sanguine ; le mistral fou a tout emporté, la moindre parcelle boisée est maintenant consumée. La peur et l’angoisse ; la fuite et la lutte. Ce soir nous avons rejoint ces boîtes qui nous servent de demeures. Yeux rougis. Dans le vent qui tente d’ultimes attaques j’aperçois des lueurs rouges dans tous les coins des bois. Le feu n’est pas mort. Il couve sous les cendres. Les souches brûlent sous terre et les fumeroles n’ont rien de volcanique. Que nous réservent les nuits venant ? Au nord à une dizaine de kilomètres les collines de Roquebrune Sur Argens brûlent. Le ciel est écarlate dans le noir de la nuit. Je me sens meurtri comme l’âme de ce pays de chair qui n’est pas le mien mais qui n’est plus qu’un amas de cendres. Et le vent siffle sous les portes. Automne de feu.
6 heures du matin. 23 septembre. Le mistral souffle par petites tentatives de déstabilisation. La nuit est claire et transparente comme une nuit d’été disparu.

Et je t’attends toi

Toi qui viendras bientôt accoucher de mes rêves
Toi qui viendras si fort et me feras pleurer
Des larmes de bonheur comme un jour qui se lève
Et éclaire ma vie comme un soleil d’été.

Toi qui me donneras tes regards et tes rives
Toi qui prendras ma main tout au long de ma vie
Toi qui me feras naître en caresses craintives
Toi qui éblouiras mes chagrins infinis

Toi qui me fourniras la force nécessaire
Pour aimer la lumière sans détester la nuit
Qui électriseras le coin de mes paupières
Et qui distilleras un air de paradis

Toi qui me couleras des torrents de tendresse
Toi qui abreuveras mes lèvres assoiffées
Toi qui seras l’étoile de mon ciel étoilé
Toi qui seras la femme et l’amante et l’ivresse

Toi qui feras l’amour à mes mains hésitantes
Toi qui devineras mes pensées et mes chants
Toi qui soulèveras des tonnes de présent
Pour faire de l’avenir le souhait de nos attentes

Toi qui feras l’amour par des mots interdits
Toi qui partageras mes joies et mes souffrances
Toi qui me parleras des bonheurs de l’enfance
Toi qui prendras mon cœur, un peu de ma folie

Toi qui par ton sourire me donneras la fièvre
Le calme d’être à deux dans ce monde meurtri
Toi qui m’endormiras au lit de ta rivière
Et qui me souffleras des paroles de vie…

Je t’aime…

Et je te cueillerai des bouquets de lavandes
Des sensations de fleurs aux parfums capiteux
Nous marcherons ensemble sur le chemin des landes
En écoutant la mer nous parle, amoureux.

26/09. 6 heures du matin.
Il a plu cette nuit
Une pluie provençale
Légère, automnale, fine, le temps d’une nuit .
Une jolie musique d’humidité tardive,
Bien tardive qui au petit matin décuple les odeurs de cendres…
Par la fenêtre ouverte elles entrent insidieuses, douces et écoeurantes.
Forêts noires et mouillées… à quoi ressemblez-vous ?
Couleurs approfondies, accentuées, noir plus noir, vert plus vert
A quoi ressemblez-vous ?
Au chemin de mon âme , sans but, sans direction, sans lumières, sans déraison…
Je ne suis qu’un fantôme d’arbre, un tronc sans sève, sans branche, sans feuilles…
La vie s’échappe de mes mains, lentement. Le désespoir brûle mon rire comme les forêts me dévorent le cœur.
LES PETITS MATINS NE SE RESSEMBLENT PAS…

« Il y a des jours où l’on est plus personne »

Des morceaux de moi se brisent irréversiblement, et je m’échappe de moi-même.
Emporté par le vide et l’absence, je regarde passer les saisons comme les vaches regardent les trains.

Ô mes fantasmes sublimes et dérisoires vous me portiez si haut dans un paradis illusoire comme dans un port les bateaux !
Que reste t-il de ma jeunesse ?
Des lambeaux d’espoirs éclatés, des amertumes et des ivresses, des baisers inachevés.
Que reste t-il de mes sourires et de mes larmes refoulées, un regard plongeant dans l’abîme de l’avenir déjà passé.
Au petit jour de mes silences des mots d’amour à repasser ont pris le pli de l’insolence et de la peur des meurtrissures.

Solitude des plaines, taïgas de mes pensées, champs de neiges, ô mes sirènes sur les rivages échouées !
Solitude martienne, terre de sienne brûlée, pinceau rageur, coule ma peine en larmes de couleurs sur des photos sépia usées.

ET CETTE LUEUR SI BELLE QUI BRILLAIT AU FOND DE MES YEUX CHANCELLE ET MEURT COMME UN REFLET ETOILE L’EAU DE VAGUES BLEUES… … …

Et le vent s’est arrêté.

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