Septembre 1990 (texte retrouvé en janvier 2004)

Ce soir de pleine lune un vent tiède s’est levé et bascule les nuages gris comme des traînées d’aquarelles séchées de nuit. Ici le vent est imprévisible, presque pervers. Il se faufile dans la moindre parcelle d’âme égarée comme sur les rochers acérés des calanques sauvages. Il traîne l’écume des vagues dans un balancement amoureux et traître. Vent du nord je te hais. Facteur d’exaspérations glacées ou torrides en été. C’est lui qui consume mes forêts, mes arbres, mes sentiers de mousses et d’aiguilles, pins maritimes ou pins parasols.
Ce soir le vent se cherche… peut-être sait-il la rentrée lui aussi. Le mistral repousse les vagues, repousse les ressacs et renvoie les gerbes d’écumes derrière les rouleaux obstinés comme des apothéoses de fontaines. Alors, la mer est bleue de Prusse, des moutons blancs à en perdre la vue. Les cieux sont bleu intense… trop de bleu… mon cœur bat la chamade à chaque rafale comme un coup de poignard. Le mistral est factice, contre nature, il crée un univers de carte postale où la couleur exacerbée prime sur la beauté intérieure.
Quant au vent d’est, il ramène les vagues et fait disparaître les plages dans des gris ineffables couleur des nuages porteurs de pluie. Le vent d’est me retrouve toujours sur la plage ou sur les rochers, seul, dans les embruns glacés.
Ici, en hiver je puise dans les tempêtes une force et une paix de l’âme. Marcher par vent d’est sur le bord de mer est un plaisir calculé et c’est avec une joie indicible que je pressens ce moment.
Alors je m’évade pour aller flirter avec les rafales déferlantes. Transformation des poussières d’algues. Posidonies, ægagropiles…
Transformation du paysage intérieur…
Dès octobre on sent venir lentement des bouleversements maritimes. Les cigales se sont tues et même si la saison d’automne n’est pas marquée, si les forêts restent vertes autour de moi, la mer réussit à me parler avec le vent d’est et je me sens moins seul à apprécier cette faveur de la nature.
La mer fait alors partie de ma conscience…

Jour de rentrée………… Matin… il est 6 heures, dans les bois du Mont Cabasse une chouette invisible appelle le soleil et sa douce chanson coule dans la nuit qui s’éteint.

La rentrée des classes…

Vague angoisse vague bonheur.

Tous les ans mon enfance m’appelle vers cette journée. Et je la retrouve au travers des cris, des rires, des pleurs des enfants. Je me reverrai en noir et blanc comme sur mes vieilles photos d’école maternelle, courir dans tous les sens et mes sens s’éveilleront à mille odeurs nouvelles et très anciennes de crayons, de poussières et de craies. Une petite musique douce et mélancolique teinte les jours de rentrée. Je m’y sens neuf comme un matin qui se lève. Une nouvelle année commence. Une appréhension partagée de joies et d’espérances forge mon avenir. Etre entouré d’enfants c’est une manière élégante de ne pas quitter vraiment son enfance. Et devenir adulte, c'est-à-dire libre et disponible quand des sourires ou des larmes viennent éclairer votre tendresse. J’aime cet instant de découvertes réciproques, luttes, affrontements, mais où l’on se décide vraiment à exister pour quelqu’un.
Le jour s’est levé. La chouette se tait et s’endort. A moi de parler maintenant…

Et le soleil commence à chanter…………………………

21 heures…
La nuit est tombée. Déjà. Furtivement comme pour chasser les nuits d’été. Nuits d’été……… les dernières. La moiteur a fait place à la douceur. Mille lumières se sont allumées sur les collines du Belvédère, et du côté de la mer, des scintillements nacrés d’étoiles tracent le sillage de quelque bateau.
Dans les herbes noires séchées de soleil des criquets tentent encore une fois de faire vibrer leur harmonie cassée, monotonie en risque de rupture. Le vent s’est tu ce soir.
J’ai des rêves d’aquarelles dans ma tête, éclatement de l’eau dans des bulles de liquides colorés, myriades de musiques au bout de mes doigts, papier-caresse, formes de Femmes, mers, océans, fenêtre sur l’irréel et la douceur des pastels. La nuit est noire d’encre de Chine, il fait très doux, respirable, comme un sourire volupté, un regard accroché au passage d’une comète.

Il y a des gens que j’aime et je voudrais leur dire. Autour de moi dans le quotidien, des yeux parlent ou se taisent ; le silence des mots est un regard furtif… l’éclat des yeux reflète le bonheur de vivre et la tentation de tisser des liens, fil d’Ariane au creux de mes rencontres, au hasard des minutes et des heures, instant privilégié où deux regards se croisent, INSTANT D’ETERNITE à jamais provoqué, à jamais recherché, aveuglément, comme le vol d’un oiseau ensanglantant des vitres fermées, comme une main qui se tend dans le vide et l’absence……

Comme la nuit qui ce soir inonde et sérénade ma peau de sa Folie…

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